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Chapitre-14 La Calotte de glace de Stikine

Article écrit par Jean Forteroche

Le 03/09/2018 à 18:52:58

Dans sa dernière carte postale à Wayne Westerberg, McCandless avait écrit : « Si cette aventure tourne mal et que tu n’entendes plus parler de moi, je veux que tu saches que je te considère comme quelqu’un de formidable. Maintenant, je m’enfonce dans la forêt. » Quand il fut avéré que l’aventure avait eu une fin tragique, cette déclaration mélodramatique alimenta l’hypothèse que le jeune homme avait été dès le départ suicidaire et qu’en entrant dans le sous-bois, il avait l’intention de n’en plus revenir. Pour ma part, je n’en suis pas si sûr.Ce qui me fait soupçonner que la mort de McCandless était fortuite,que c’était un terrible accident, c’est la lecture des quelques documents qu’il laissait ainsi que mes entretiens avec les hommes et les femmes qui l’ont fréquenté pendant la dernière année de sa vie. Mais ma saisie intuitive de ses intentions tient aussi à une considération plus personnelle.On m’a dit que dans ma jeunesse j'étais têtu, renfermé, enclin à des actes téméraires, versatile. D’une façon générale, je décevais mon père.Tout comme pour McCandless, ceux qui représentaient l’autorité paternelle faisaient naître en moi un mélange de fureur contenue et de désir de plaire. Si quelque chose s’emparait de mon imagination, je m’y consacrais avec un zèle proche de l’obsession et depuis l’âge de dix-sept ans jusqu’à l’approche de la trentaine, ce quelque chose, c’était l’escalade.Je consacrais la plus grande partie de ma journée à imaginer, et plus tard à entreprendre, l’ascension de montagnes éloignées en Alaska et au Canada – d’obscures cimes raides et effrayantes, dont personne au monde n’avait entendu parler, à l’exception de quelques mordus de la grimpe. Cela eut des effets bénéfiques. En fixant mes vues sur un sommet après l’autre, je finis par traverser sans dommage l’épais brouillard de ma post-adolescence. Il était important que je grimpe. Le danger baignait toute chose – la courbe des rochers, la couleur orange et jaune des lichens, la texture des nuages – dans une lueur qui lui conférait un relief brillant. La vie vibrait un ton plus haut. Le monde devenait réel.

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